Jennifer Morinay, Docteure en Écologie évolutive

Mieux comprendre comment les informations sociales sont utilisées dans la nature en s'intéressant plus particulièrement au gobe-mouches à collier comme modèle d'étude, c'est le travail de Jennifer Morinay, Docteure en Écologie évolutive. Au cours de son parcours professionnel, elle a choisi de partir travailler dans l'une des zones les plus reculées du monde : l'Antarctique ! Elle a ainsi côtoyé quotidiennement la faune si particulière qui peuple ce continent. Aujourd'hui, elle nous propose d'en apprendre plus sur son travail et sur son parcours.

Informations sociales dans la nature

Qu’ils soient humains ou non-humains, qu’ils soient solitaires ou grégaires, tout au long de leur vie, les animaux interagissent dans de nombreux contextes : pour la reproduction, la compétition, la coopération, les déplacements en groupes, etc. Les interactions sociales sont donc très importantes pour la survie et le succès reproducteur d’un individu. De par leurs comportements et leurs décisions, les autres animaux peuvent être de bons démonstrateurs, que l’on peut espionner et copier quand on n’est pas sûre de la décision à prendre. C’est ce que l’on appelle « utiliser de l’information sociale », c.-à-d. de l’information récoltée par l’observation des autres individus. Pour illustrer ce concept, ne vous est-il jamais arrivé, en cherchant un restaurant, de choisir celui où il y a déjà du monde, comme gage de qualité ? Et bien le fait d’observer ce que font, où vont, ou encore comment réagissent les congénères est un comportement non pas limité aux Homo sapiens mais bien présent dans multiples taxons du monde vivant. 

L’utilisation d’informations sociales est ainsi omniprésente dans la vie des animaux, et leur permet de faciliter certaines décisions, notamment lorsqu’ils n’ont pas pu récolter par eux même assez d’informations sur la qualité de l’environnement. On observe dans la nature une grande diversité dans ce comportement d’utilisation d’informations sociales : tous les individus n’utilisent pas les mêmes informations, ou pas de la même façon. Le but de mes recherches est d’étudier l’origine de cette diversité, afin de mieux comprendre l’évolution d’un comportement complexe mais toutefois généralisé dans le règne animal (et même végétal). Mes travaux portent sur un type de décision en particulier : le choix d’habitat, que ce soit pendant la reproduction (doctorat), la recherche de nourriture (post-doctorat en Italie) et la migration (post-doctorat en Norvège).

Au cours de ma thèse, j’ai plus particulièrement étudié le gobe-mouche à collier, un petit passereau migrateur, dans une population suivie depuis maintenant 40 ans sur l’île de Gotland en Suède.  Grâce aux données à long-terme de cette population mais aussi aux expérimentations que l’on a mené sur le terrain (en observant si les gobe-mouches copient ou non leurs principaux « rivaux », à savoir les mésanges charbonnières), j’ai pu mettre en évidence que l’utilisation d’informations sociales chez cette espèce n’est apparemment pas un caractère transmis génétiquement, mais dépend du sexe, de l’expérience, et de la personnalité des individus. J’ai également pu montré que les gobe-mouches utilisent de multiples sources d’information : en particulier, les femelles utilisent des indices fins contenus dans le chant des mésanges afin d’adapter leurs décisions. Or, nous ne savions pas jusqu’alors que les informations contenues dans les chants d’oiseaux et qui informent sur la qualité du chanteur pouvaient être détournées par d’autres espèces. Ce résultat est fascinant et c’est certainement l’expérience que j’ai préférée réaliser au cours de ma thèse. 

D'où m'est venue cette envie d'être chercheur en Écologie ?

Déjà bien sensibilisée à la nature et en particulier à la vie marine grâce à mes parents, j’ai su que je voulais devenir chercheure en biologie à l’âge de 10 ans. Je me rappelle encore qu’un jour, j’ai longuement observé le balais aérien d’étourneaux, cela me fascinait, et j’ai eu envie de comprendre ces phénomènes biologiques remarquables. Ce n’est que plus tard, en classes préparatoires (BCPST) que je découvre l’Écologie, c’est-à-dire l’étude des relations des êtres vivants entre eux ainsi qu’avec leur environnement. Dès lors, j’ai souhaité devenir chercheure en Écologie animale ! Je m’oriente alors vers une école d’ingénieur en Agronomie, par laquelle je peux faire un master en Écologie tout en m'assurant un diplôme d’ingénieur. 

Un parcours fait de voyages et de rencontres

Cette formation m’a permis de beaucoup voyager et de me former dans plusieurs laboratoires de Recherche : en Norvège, au Portugal, au Canada et en France. Après mon Master 1, je décide de faire une césure via un stage de 10 mois au laboratoire d’Écologie de Chizé (France), sur le comportement de recherche alimentaire des otaries des îles Kerguelen. La faune polaire m’a depuis toujours fasciné, c’est donc une opportunité incroyable : je pars 3 mois équiper des otaries et des éléphants de mer avec des balises GPS sur l’archipel des Kerguelen. C’est ainsi que je découvre ce trésor, insoupçonné pour beaucoup d’entre nous, que sont les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF pour les initiés). Sur le terrain, je rencontre de nombreux biologistes, dont des Volontaires en Service Civique et des ornithologues. 

Localisation de l’archipel des îles Kerguelen et de la base scientifique Dumont d’Urville en Terre Adélie. 

L’année suivante, j’entame mon Master 2 en Écologie Évolutive et réalise un stage sur l’évolution des chants d’oiseaux. Je ne me sens pas encore prête à entamer un doctorat, et une partie de moi a terriblement envie de repartir dans les TAAF. Le laboratoire d’Écologie de Strasbourg me donne cette opportunité : je pars 15 mois travailler à la station de Recherche Dumont d’Urville en Antarctique (Terre Adélie). Ma mission consiste à récolter des données sur les colonies de manchots empereurs et Adélie. Ainsi, tous les jours (sauf blizzard extrême), je me suis rendue à proximité de ces colonies, j’ai observés les individus suivis, enregistré leur chant, estimé leur personnalité… Ce fut une expérience scientifique et humaine incroyablement belle, mais parfois aussi difficile. J’en suis revenue plus forte et avec des étoiles plein les yeux.

À mon retour, je me lance dans une thèse en Écologie Évolutive à l’Université de Lyon. Là encore, cette thèse est synonyme d’échanges et de voyages, car je la réalise en cotutelle avec l’Université d’Uppsala en Suède, et en collaboration étroite avec des chercheurs de l’Université d’Oulu en Finlande. J’ai ainsi eu la chance de passer ma 4ème et dernière année de thèse au département d’Écologie Animale de l’Université d’Uppsala. Ces collaborations internationales ainsi que cette année passée en Suède, m’ont ouvert les yeux sur une autre approche du métier de chercheur.e, et j’en garde de précieux atouts pour la suite. 

Et la suite ?

À la fin de ma thèse et pendant mon mi-temps d’Enseignement-Recherche à l’Université de Lyon qui a suivi, je n’ai cessé de chercher un futur contrat de Recherche, les opportunités de financement étant rares. Après avoir été auditionnée à 6 entretiens, et avoir écrit 3 projets de Recherche qui n’ont pu être financés, j’ai enfin décroché mon premier contrat postdoctoral à l’institut italien pour la protection de l’environnement ISPRA à Bologne (sur le faucon crécerellette) jusqu’en 2021, et une bourse de Recherche Européenne Marie-Curie pour mon second contrat postdoctoral à l’Université norvégienne NTNU à Trondheim (sur le cormoran) de 2021 à 2023. Le vent a donc fini par tourner, la persévérance a payé, et je me réjouis de poursuivre ces deux projets auprès de chercheur.e.s de renom ! Où serais-je dans quatre ans ? Je ne le sais pas encore, mais je compte profiter de ces deux opportunités pour poursuivre ma carrière de chercheure le plus longtemps possible. Ensuite j’espère décrocher un poste permanent dans une institution publique, perle rare à l’heure actuelle, mais il me faudra peut-être malheureusement changer de cap : seul l’avenir le dira. 

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