Au milieu des débats qui opposent l’agriculture à l’écologie, on perd facilement de vue le but de la pensée écologique. On la tronque et la caricature pour en faire une quête de lunatiques déconnectés des réalités. Toutefois, s'engager pour la biodiversité naît d’une clairvoyance douloureuse de ce que sera notre futur si nous ne nous adaptons pas et ne protégeons pas le monde dont nous faisons partie. 

Arrêtons de placer l'espèce humaine au-dessus des autres

Les philosophes ont longtemps loué la soi-disant supériorité de l’Homme. Au XVIe et XVIIe siècle, on pouvait quand même lire des phrases comme:

Les mentalités ont bien évolué depuis, notamment grâce aux travaux de Charles Darwin, qui a montré que l’évolution n’est pas une pyramide qui consacre l’espèce humaine en son sommet, mais un réseau mué par les forces adaptatives.

Néanmoins, l’idée d’une supériorité de l’espèce humaine sur le reste du vivant est encore vivace, et le droit d’exploiter la nature comme une ressource faite pour les humains, encore ancrée dans de nombreuses cultures à travers le monde.

Les argumentaires en faveur de la protection de la biodiversité s’appuient fortement sur le concept de “services écosystémiques” pour illustrer notre dépendance, notamment économique, vis-à-vis de la nature. Si ce concept est un outil puissant de communication, il consacre encore la nature comme une ressource POUR l’être humain.

S'engager pour l'ensemble du vivant

S’engager pour la protection de la biodiversité, c’est placer les humains au même niveau que les autres espèces, comme une pièce dans l’échiquier complexe du vivant. Certains croient que cela signifie faire passer les humains après les autres espèces, non ! On cherche l’harmonie, le droit pour tout être vivant de vivre décemment. 

Si nous persévérons dans nos modes de vie actuels, ce sont de nombreuses espèces, par ailleurs parfaitement adaptées à leur environnement, qui disparaîtront à cause de nos activités. Ce seront également de nombreuses populations humaines qui seront mises en danger par les agissements inconsidérés et incontrôlés de quelques pays. 

S’engager pour la protection de la biodiversité est une démarche profondément humaniste, de préservation du vivant y compris des humains. La lutte écologique va de pair avec la lutte sociale. 

S'adapter pour vivre avec la nature

En adoptant cette vision pour le vivant, humain et non-humain, nous pouvons adopter les changements transformateurs recommandés par l’IPBES et le GIEC. Des changements qui s’inscrivent directement dans une démarche d’adaptation pour que tous les humains sur Terre aient accès à une qualité de vie décente.

S’engager pour la protection de la biodiversité, c’est donc aussi proposer des solutions pour assurer la pérennité des femmes et des hommes à travers le monde, sur la base de modes de vie construits avec et non pas aux dépens des écosystèmes. 

Hubert Reeves, grand vulgarisateur scientifique disait : “L'Homme est l'espèce la plus insensée, il vénère un dieu invisible et massacre une nature visible ! Sans savoir que cette nature qu'il massacre est ce dieu invisible qu'il vénère !”

Revenons à la raison, préservons la biodiversité. 

Dr Manul

La viabilité économique des entreprises européennes est-elle plus importante que les vies d’hommes, de femmes, d’enfants dans les pays non européens ? Justifie-t-elle la destruction d’écosystèmes entiers et la mise en péril de la biodiversité ?

Pour moi, la question ne devrait même pas se poser. En effet, on ne peut pas placer la production d’un produit par delà les droits humains. Pas plus que l'on ne peut la placer outre la protection de l’environnement, sans lequel nous n'existons même pas.

Avec une grande tristesse, je constate chaque jour que beaucoup méprisent la nature. Enormément de personnes n’arrivent pas à saisir la folie que représente la transgression des limites planétaires. Il est donc facile d'oublier l'environnement dans les business plan. Mais comment est-ce que l’on peut concevoir de faire du business aux dépens des droits humains ? D'autant plus en France où on se glorifie depuis 200 ans d’être le pays des droits de l’Homme ? 

Le Devoir de Vigilance en France

Que je le comprenne ou pas, la question se pose en effet. En conséquence, la France a dû légiférer en 2017 pour créer une obligation légale de vigilance : le Devoir de Vigilance. Les grandes entreprises sont depuis tenues de surveiller les pratiques de leurs fournisseurs et partenaires. Le but : éviter ou atténuer toute transgression des droits humains et/ou environnementaux. Alors, oui, cela entraîne des coûts supplémentaires. Mais ces surcoûts semblent nécessaires pour pouvoir continuer à se regarder dans le miroir tous les matins… C’est le prix de la conscience tranquille, le prix de savoir que l’on œuvre sans faire de mal. 

Sur le papier, le Devoir de Vigilance est une avancée fulgurante puisqu’apparemment le proverbe ‘loin des yeux, loin du cœur’ s’appliquait trop souvent aux entreprises qui sous-traitaient sans vérifier les conditions de production. Toutefois en pratique, sa portée semble assez limitée

Plusieurs entreprises ont été mises en demeure, c’est-à-dire formellement accusées de faillir à leur devoir de vigilance, depuis la publication de la loi. TotalEnergies établit le record à 4 mises en demeure, dont celle en lien avec la mise en danger des communautés locales et de l’environnement en Ouganda. La justice s'est prononcée en décembre 2023 et a jugé l'affaire irrecevable. Fait intéressant, il n’y a pas eu de décision quant à la violation des droits humains rapportée par les associations. La décision a porté sur la forme de la procédure. 

Une seule condamnation en 7 ans

La seule entreprise à avoir été condamnée, en décembre 2023, est La Poste. La condamnation a pointé un manque de précision dans la cartographie des risques du groupe. La cartographie ne permettait pas une juste appréciation des risques liés à l'emploi des sans-papiers. La Poste a reçu une injonction pour s'améliorer, ce qu’elle dit avoir déjà fait dans les 3 ans qui ont séparé la mise en demeure et le verdict. On pourrait s’interroger sur la pertinence de prononcer un jugement 3 ans plus tard pour des pratiques en cours. 

À noter que les mises en demeure continuent de se multiplier. Parmi les dernières et en lien avec l’environnement, on note Carrefour, pour ses pratiques d’approvisionnement en thon, épinglé notamment par l’association Bloom, et Danone pour son manque de plan pour sortir du plastique

Le devoir de vigilance en Europe : un projet au point mort

Après de longs échanges, les députés européens ont validé en décembre 2023 la Corporate Sustainability Due Diligence Directive ou CSDDD. Ce texte a pour objectif d'établir un Devoir de Vigilance au niveau européen. En comparaison du texte français, la vigilance s’appliquerait à davantage d’entreprises, et prévoirait des sanctions monétaires.

Cette directive importante est aujourd’hui bloquée, au point mort, et certains la disent même enterrée. Le problème (principalement cité) ? La lourdeur administrative qu'imposent les contrôles supplémentaires chez les fournisseurs et partenaires, et la possible perte de performance économique associée. 

Dans quel monde sommes-nous pour justifier le report d’un texte sur la préservation des droits humains pour cause de surplus de paperasse ? Sommes-nous si profondément embourbé dans un monde où la performance économique est reine que nous n’avons plus aucune honte à dire que générer de l’argent en Europe est plus important que de s’assurer que l’on ne détruit pas des vies ailleurs dans le monde ?

Si notre système économique est incompatible avec la protection sans condition de la justice sociale et de l’environnement, le système doit changer. 

Dr Manul

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