La publication scientifique : description du système et histoire

La production de connaissance et sa transmission suivent des règles particulières créées par des humains. Elles sont donc imparfaites, subjectives et sujettes à co-évoluer avec les humains qui les façonnent. Cet article a pour objectif de vous présenter le système de publication scientifique qui représente le médium majeur de transmission de la connaissance entre scientifiques.

Vous trouverez dans les prochaines lignes :

Dans un second article nous reviendrons sur les limites et critiques de ce système. Bonne lecture !

Qu’est-ce que la recherche scientifique ?

Pour la définir simplement, la recherche scientifique est « un ensemble d'études et de travaux menés méthodiquement par une scientifique, ayant pour objet de vérifier des théories déjà existantes mais également de produire et améliorer la connaissance » [1].

En France, elle est effectuée par des chercheureuses mais aussi des étudiants, des assistants, des techniciens et des ingénieurs travaillant dans des établissements d'enseignement supérieur (universités), des organismes de recherche (CNRS ou l’institut Pasteur par exemple), ou dans des entreprises (recherche privée) [2, 3]. 

Recherche publique, privée, fondamentale ou appliquée ?

Différents adjectifs sont souvent accolés au terme de recherche. En général ils désignent le mode de financement ou l’objectif avec lequel la recherche est conduite.

On peut diviser la recherche en deux grandes catégories : la recherche appliquée et la recherche fondamentale [4]. Néanmoins, gardons en tête que beaucoup de projets se retrouvent à la frontière entre ces deux catégories.

La recherche appliquée

La recherche appliquée répond à un problème spécifique que la société se pose à un instant t. 

Si cette question intéresse des entreprises, il y a de fortes chances pour que cette recherche trouve des financements dans le secteur privé. Dans ce cas particulier de la recherche appliquée privé, les travaux des scientifiques sont inscrits dans les objectifs de l’entreprise et de la fondation auxquels ils appartiennent. En 2010, dans le secteur privé, les domaines les plus financés étaient : l’industrie (automobile, aéronautique/spatiale, pharmaceutique, chimique), les activités informatiques et services d’information, la production de composants électroniques (ordinateurs, périphériques) [2].

Il se peut que la question n’ait pas de valeur marchande potentielle mais que la société ait quand même besoin d’une réponse. Alors, la recherche appliquée sera financée sur des fonds publics comme par exemple l’impact des éoliennes sur la biodiversité locale et les moyens de l’atténuer [5].

La recherche fondamentale

La recherche fondamentale produit de nouvelles connaissances sans pour autant nécessiter une utilisation immédiate de ses résultats. Elle regroupe des travaux de recherche empiriques ou théoriques, et constitue un véritable socle de connaissance pour la recherche en général, dont la recherche appliquée [6]. 

Au sein de la recherche fondamentale on distingue la recherche empirique, définie comme toute recherche dans laquelle les conclusions de l'étude sont tirées strictement de preuves issues d’expériences ou d’observations. On retrouve des projets comme la communication chimique chez la marmotte alpine [7] ou la description des limites d’un courant méditerranéen en utilisant des données radar [8].

La recherche théorique illustre une dimension encore plus universelle de la connaissance. L’idée est de développer des théories qui expliquent la réalité qui nous entoure. En général, cela revient à représenter un phénomène sous la forme d’équations. On pense par exemple au principe de la relativité ou la théorie de la sélection naturelle.

La vie d’une chercheureuse : un cycle incessant

La recherche scientifique repose sur le travail assidu de chercheureuses partageant leurs réflexions et découvertes sur une thématique [9,10].  Mais attention, ce travail ne se fait pas en un claquement de doigts : il peut s’écouler plusieurs années entre l’idée de départ et la publication des résultats. 

Avant d’avoir un travail abouti, lae scientifique doit avoir une connaissance approfondie du sujet sur lequel iel travaille, récoltant le maximum d’informations dans la littérature scientifique ou au cours de conférences. Iel va par la suite suivre une démarche bien précise, partant à la base d’une observation qui va l’intriguer et soulever plusieurs questions. Iel pourra ensuite émettre des hypothèses sur la base de ses connaissances et de la littérature pour y répondre. L’objectif de l’étude va être de tester ces hypothèses, puis d’aboutir à une conclusion qui les confirmera ou les infirmera.

Une fois que les résultats produits sont satisfaisants, lae scientifique va les communiquer (rapport technique, article scientifique, présentation lors de congrès scientifiques). Cela permet de valoriser son travail, de combler une partie des lacunes, de le soumettre à la critique et de se faire connaître dans le milieu scientifique, mais aussi non scientifique.

La diffusion de la connaissance scientifique (entre scientifiques)

Pour remplir son rôle principal, la recherche scientifique se doit d’être diffusée auprès d’un large public scientifique. Ainsi, les dernières connaissances peuvent être utilisées par d’autres personnes pour continuer l’infatigable construction du savoir. Il existe plusieurs façons pour une chercheureuse de diffuser ses travaux mais nous allons nous concentrer sur son outil fondamental : l’article scientifique.

La structure d’un article scientifique

L’article scientifique est le produit final de tout travail de recherche et sa rédaction constitue une part de travail colossal [11,12]. Il s’agit d’un exercice de rédaction compliqué car l’écriture scientifique a ses propres codes : phrases courtes, directes et utilisant la forme passive. La•e scientifique doit respecter un plan normalisé propre à tout article scientifique, constitué de sept grandes sections :

  • le titre : c’est le premier contact avec les lecteurices, il est souvent accrocheur et spécifique.
  • le résumé : composé d’environ 300 mots il doit être attractif, clair et indiquer l’essentiel du contenu de l’article en mettant en lumière le résultat/message principal.
  • l’introduction : cette section établit le contexte de l’article en s’appuyant sur des références bibliographiques et présente la question de recherche et les hypothèses de travail.
  • le matériel & méthodes : étape cruciale qui décrit le matériel nécessaire et les méthodes utilisées pour produire la connaissance présentée (espèce étudiée, lieu et collecte des données, analyses des données, etc.).
  • les résultats : ici c’est assez évident, c’est la présentation des résultats qui sont souvent illustrés visuellement  sous la forme de graphiques, de tableaux et/ou de schémas.
  • la discussion/conclusion : cette section est consacrée à l’interprétation des résultats. Les auteurices discutent de si oui ou non les hypothèses de départ ont été validées, iels comparent leurs travaux avec d’autres articles, présentent les limites de l’étude, et imaginent les contributions à de futures recherches.
  • les références bibliographiques : l’article scientifique s’appuie sur de précédents travaux de recherche. Tout au long du texte, pour appuyer les arguments avancés, il importe de préciser d’où vient l’information (en indiquant les auteurs et l’année de publication entre parenthèses). Citer les travaux d’autres chercheurs est le b.a.-ba de la recherche scientifique. 

L’importance de cette structure

Le fait que tout article scientifique suive cette structure formatée permet aux lecteurices permet d'aisément se situer dans l'article et de pouvoir en extraire les informations souhaitées. Grâce à cette organisation (qui peut paraître rigide), il est facile pour d’autres chercheureuses d’utiliser la nouvelle technologie décrite dans l’article par exemple et ainsi d’assurer la reproductibilité de l’étude. Pour être admise par la communauté scientifique, il est nécessaire qu'une mesure ou découverte soit confirmée par plusieurs travaux. De plus, les chercheureuses lisant l’article vont aussi pouvoir tester la nouvelle technologie mais dans un contexte différent qui n’avait pas été envisagé par les auteurices au départ (e.g., développement d’un vaccin, utilisation de CRISPR-Cas9 etc.). 

Enfin un autre avantage découlant de cette architecture se trouve dans la bibliographie qui constitue un outil à part entière. En citant les références d’autres articles, les auteurices entretiennent, construisent et partagent leurs connaissances sur le sujet développé.

Les transmissions orales : congrès et séminaires

Chaque année des événements scientifiques ont lieu, en France ou à l’étranger, réunissant les chercheureuses du monde entier pour exposer leurs travaux, rencontrer des confrères et discuter de leurs recherches. Ces congrès sont payants, plus ou moins grands (entre 100 et plusieurs milliers de personnes), et permettent à la communauté scientifique de se rassembler autour d’une thématique. On retrouve deux manières de présenter un travail lors d’une conférence scientifique [13] : le poster (communication affichée composée d’un résumé du travail de recherche et de figures) et le talk (communication orale basée sur un support diaporama).

Les laboratoires de recherche, pour promouvoir l’animation scientifique au sein de leur structure organisent des séminaires faisant intervenir divers chercheureuses d’autres établissements. Les bénéfices sont multiples : débat scientifique, partage de résultats récents, mais surtout rencontre entre confrères pouvant déboucher sur de potentielles futures collaborations.

Autres modes de transmission

Les outils de transmission ne se limitent pas aux exemples présentés précédemment. Les chercheureuses peuvent communiquer via d’autres types d’articles scientifiques comme les revues de littérature (résumé de l’état de l’art sur un sujet spécifique), les méta-analyses (regroupement de résultats sur un sujet spécifique tentant d’en extraire une interprétation générale), les notes d’opinion etc. Ces formats sont soumis à un comité de lecture. Enfin iels ont aussi l’occasion de produire des livres. Cependant ils ne sont pas nécessairement soumis à la relecture par les paires et leur fiabilité peut donc être très hétérogène. 

Le système de publication

Son fonctionnement

Entre la production d’un article scientifique et sa publication il y a de nombreuses étapes.

La production de la connaissance

Dans un premier temps, lea scientifique va produire de la connaissance en respectant la démarche scientifique précédemment citée et va restituer cette connaissance sous un format très spécifique : un article scientifique. Il sera relu et modifié par les co-auteurices plusieurs fois.

La soumission de l’article

Une fois que cet article est rédigé, il est envoyé à un journal scientifique qui est chargé de le diffuser. L’article arrive tout d’abord dans les mains d’une des éditeurices du journal. Son rôle est d’évaluer la correspondance de l’article avec son journal. Chaque journal publie dans un domaine scientifique particulier et en fonction de la réputation de ce dernier il peut se permettre d’être plus ou moins pointilleux. L’éditeurice lit des articles dans des domaines très différents dont iel n’est pas forcément expert e et doit prendre une décision après une lecture rapide. 

À ce stade le destin de l’article peut prendre deux chemins :

1 - l’article est refusé, il sera alors impossible de resoumettre les mêmes résultats à ce journal même s’ils sont retravaillés.

2- l’éditeurice trouve l’article intéressant et souhaite le publier.

L’article est envoyé aux reviewers

Si l’article a été apprécié en première lecture par l’éditeurice, iel l’envoie à 2-3 « examinateurices » (la traduction française n’est pas idéale, on parle de reviewers en anglais). Iels sont chercheureuses comme les auteurices et sont vraiment spécialistes du sujet (contrairement à l’éditeurice). Iels vont lire l’article en profondeur et faire des commentaires détaillés sur ce qu’iels estiment devrait être différent.

Les chercheureuses assument cette fonction bénévolement en plus de leurs travaux de recherche et leurs charges d’enseignement. En général, entre 2 et 10 révisions peuvent être produites par mois par chercheureuses. Cela constitue une partie non-négligeable du métier.

À la fin de leur revue iels communiquent à l’éditeurice l’intégralité de leurs commentaires et si oui ou non l’article devrait être publié selon elleux. 

Il est fréquent que ce processus soit complètement anonyme : l’identité des auteurices et des reviewers n’est connu que de l’éditeurice. Cette pratique est censée garantir un jugement objectif et limiter les règlements de compte entre équipes concurrentes (les scientifiques restent des humains et peuvent avoir des comportements discutables).

aller/retour entre reviewers et auteurices

À ce stade l’éditeurice décide si :

1 - l’article est refusé car les remarques des reviewers l’ont convaincues que l’article n’était pas pertinent.

2 - l’article doit être modifié. On parle de révisions majeures ou mineures en accord avec les commentaires des examinateurices. 

L’article entre alors dans une boucle d’aller-retour entre les auteurices qui prennent en compte un maximum de modifications proposées puis les examinateurices qui déterminent si les modifications sont satisfaisantes et/ou proposent de nouveaux changements. 

Cette étape constitue un élément crucial de la recherche scientifique : c’est ce qu’on appelle la révision par les paires. Si une fraude est suspectée, si la méthode utilisée semble douteuse, si les statistiques présentées ne sont pas adéquates : il y a de fortes chances pour que le problème soit détecté à cette étape. Dans ce cas-là, l’article sera rejeté. Le travail des examinateurices est un des garde-fous de la recherche car il permet de vérifier la fiabilité des résultats avant qu’ils soient rendus disponibles à la lecture, c’est ce qui en fait sa force aussi. Ce système est loin d’être parfait (voir notre prochain article) mais il est constitutif de la recherche scientifique et garantit un jugement critique des nouveaux résultats produits.

L’article est accepté !

Une fois que les reviewers et l’éditeurice sont satisfaits de l’état de l’article, il est publié ! Comme vous l’aurez deviné, toutes ces étapes signifient que de long mois (parfois années) peuvent s’écouler entre la première soumission de l’article et sa parution. Ces délais, qui peuvent être colossaux, constituent un des défauts majeurs du système.

Les limites du système de publication

On se rend compte que la publication de connaissance prend beaucoup de temps dans la vie d’une scientifique. Il s’avère que ces publications jouent même un rôle critique dans la carrière des chercheureuses.

Toutes les revues ne se valent pas

Certains journaux ont une meilleure réputation que d’autres et ce pour tout un tas de raison : l’ancienneté du journal, la langue utilisée, l’originalité des résultats publiés etc. Ils sont à la mode et donc naturellement, les chercheureuses vont préférer voir leurs travaux publiés dans ces journaux [15]. De plus en plus de soumissions vont être proposées et les éditeurs peuvent se montrer plus difficiles dans l’acceptation des articles. Par exemple la revue pluridisciplinaire Nature révèle que seules 7,6% des papiers soumis étaient finalement publiés en 2017 [14] alors qu'une revue plus spécialisée comme Methods in Ecology and Evolution a un taux d'acceptation de 20%. 

Une publication dans un de ces journaux connus va donc paraître plus intéressante que dans un journal moins côté et peut être la clé pour obtenir un poste que lea scientifique convoite.

Publish or perish 

Il ne suffit pas de viser des journaux ‘prestigieux’ pour avoir une carrière réussie, il faut aussi publier en quantité. L’obtention de postes, de bourses et donc les possibilités de continuer à travailler en tant que chercheureuse dépendent de cette performance. Les anglo-saxons ont trouvé un adage très parlant pour résumer cette situation : Publish or perish(publier ou périr).

Dans la suite de cet article nous allons nous intéresser à l’évolution du système de publication depuis les balbutiements de la méthode scientifique jusqu’à nos jours.

La portée de la science

Historiquement, la science, c’était fait par qui et pour qui ?           

Pendant très longtemps en Europe, la pratique des sciences était réservée aux élites, aux hommes de lettres fortunés qui avaient le temps et l’argent suffisants pour s’adonner à l’observation du monde et de ses phénomènes. Durant toute la Renaissance, la science était la pratique d’un nombre restreint de lettrés et la transmission des découvertes et des données se faisait au sein de réseaux très fermés. En somme, les plus riches faisaient la science et les plus riches lisaient également cette science.

Au XVIIIème siècle, la philosophie de la science change. Les sciences doivent contribuer au progrès des sociétés et se doivent, de ce fait, d’être transmises au plus grand nombre. Les ouvrages de vulgarisation scientifique se multiplient car la science doit être accessible à « tous » ; ils sont bien souvent les sujets de discussion des salons mondains. 

XIXème siècle, un tournant dans le monde scientifique

Au XIXème siècle, la science reste encore le domaine des plus riches, mais sa transmission se fait plus grande, et ce, notamment par la création de grandes institutions telle que le Collège de France ou des Université comme à Bâle ou Göttingen qui vont petit à petit populariser le domaine. De nouvelles disciplines voient le jour comme la paléontologie. De nombreux lieux dédiés à l’apprentissage ou l’expérimentation se créent : c’est le temps des jardins zoologiques et botaniques, des grands laboratoires et des universités. C’est le siècle où l’on commence à vouloir décrire le monde en entier. Les sciences deviennent l’affaire de toutes et de tous.

Au XXème siècle, les grandes découvertes scientifiques et techniques rendent visibles les sciences au grand public et démocratisent leur pratique. Les progrès en médecine, en informatique ou en aérospatial façonnent le quotidien de toustes. 

Le XXIème siècle est l’âge du numérique. L’information est partout. La science est faite par de nombreux scientifiques à travers la planète, issus de tous milieux. Elle se transmet partout dans le monde via les journaux scientifiques en ligne.

Au XVIIème siècle, les premiers journaux scientifiques

On peut dater l’apparition des premiers journaux scientifique à 1665. À cette date, le journal français « Journal des savants » et le journal anglais « Philosophical Transactions of the Royal Society » commencent à publier systématiquement les résultats d’études scientifiques [17]. Mais il faudra attendre le XVIIIème siècle pour voir un véritable essor de la publication dans des revues, avec la création de milliers de journaux scientifiques, bien que beaucoup furent éphémères. Dès lors, leur nombre n’a fait que d’augmenter. 

À partir du milieu du XXème siècle, cette accélération devient brutale et sera de nouveau accentuée avec l’arrivée du numérique vers le milieu des années 1980 où le million de papiers publiés par an sera dépassé [18].

Les publications suivent presque toutes une même trame méthodologique qui rend la lecture et la recherche de l’information plus rapide et facilite le travail bibliographique. Mais ce principe est relativement récent dans l’histoire de la science.

Avant/après Claude Bernard, les bases d’une méthodologie expérimentale

L’expérimentation a souvent été utilisée par les scientifiques pour émettre des théories et tenter de comprendre le monde qui nous entoure. Cependant, elle n’était quasiment jamais mise en œuvre de manière systématique pour éprouver les observations et tenter de trouver des moyens de comparaisons pour comprendre les fonctionnements du monde vivant (notamment) comme on pouvait le faire en physique ou en chimie.

L’expérimentation manquait de règles, de points de comparaisons, en bref, elle manquait de méthode.

Cette révolution arrivera en 1865 avec la parution du livre de Claude Bernard « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale » [16]. C’est dans cet ouvrage que le médecin et physiologiste originaire du Rhône instaure les premières bases de la méthode expérimentale. Claude Bernard déplore en effet les conceptions de son époque, notamment concernant la physiologie, basées essentiellement sur des observations et presque jamais éprouvées de manière expérimentale. Il dénonce « l’esprit de système » dans la science et accuse notamment les scientifiques du Collège de France de conduire des expériences pour démontrer leurs théories plutôt que de les confronter aux faits. Il explique alors qu’en suivant des règles, les scientifiques pourront alors établir les conditions de manifestations des phénomènes et émettre des lois.

La démarche scientifique

Voici les différentes étapes qu’il énumère et qui restent encore à ce jour un plan d’action global utilisé pour les études scientifiques actuelles :

Suite aux Observations d’un phénomène, les scientifiques formulent des Hypothèses. Ils vont ensuite concevoir une Expérience pour tester lesdites hypothèses. Puis, ils mettent en place l’expérience dont ils collectent les résultats. Vient le moment de comparer leurs résultats avec ce qui était attendu. Enfin, ils communiquent leurs résultats et leurs conclusions.

Cette méthode expérimentale, nouvelle pour l’époque, particulièrement pour les domaines de la biologie comme la médecine, va perdurer et devenir la base de la démarche scientifique dans de nombreux domaines. Claude Bernard a en effet posé les premières pierres qui serviront de socle à la publication scientifique moderne telle qu’on la connait !

La publication moderne

Un nouveau mode de diffusion : Publication, informatique et mondialisation

Il y a 50 ans, dans les années 1970, le monde rentrait graduellement dans l’ère numérique des réseaux informatiques, ce qui débouchera des années plus tard sur la révolution qu’est internet.

Initialement, de cette révolution numérique, l’objectif concernant les publications scientifiques ne se limitait qu’à une simple numérisation de toutes études déjà éditées sur papier. Mais avec la popularisation des ordinateurs portables, dans les sphères professionnelle et publique, il est vite apparu que l’information scientifique pourrait être massivement diffusée et facilement accessible à distance.

Le rôle des grands éditeurs

En 1991, l’éditeur Elsevier lance un programme visant à analyser la possibilité de diffusion de journaux électroniques. Ce programme nommé Tulip (The University Licensing Program), en association avec 9 universités américaines, débouche sur un système opérationnel en 1993 puis plus tard sur la création du site Science Direct en 1997. En parallèle, toujours dans les années 1990, d’autres éditeurs emboîtent le pas tels que Cambridge University PresseOxford University PressAmerican Chemical Society ou National Academy of Sciences.

Le DOI (Digital Object Identifier) voit le jour en 1994 ; c’est un numéro unique qui est attribué à chaque document et qui permet l’identification stable de toute publication. En 1995 est notamment créé JStor (Journal Storage), une importante plate-forme de stockage électronique de publications. Ainsi, jusqu’au début des années 2000, les acteurs américains et anglais vont majoritairement façonner le paysage de la publication scientifique numérique et assoir le modèle économique qui ne changera que très peu par la suite.

Cette course au numérique a vu émerger des leaders du marché dont les décisions pèsent énormément dans le fonctionnement de la publication. Pour exemple, les grandes maisons d’édition que sont Elsevier, Springer Nature, Wiley,Taylor & Francis ou American Chemical Society publient en 2017 un peu plus de 56 % des articles produits en Europe et concentrent à eux seuls 65 % des dépensent concernant les achats de publications et review [20].

La disparition graduelle de la publication papier, quel impact sur les scientifiques qui produisent et ceux qui accèdent aux contenus ?

Cet écosystème d’éditeurices, très particulier, avec de très grosses entreprises mais également un nombre de journaux croissant et un nombre de chercheureuse tout aussi en hausse, entraîne malheureusement une grosse compétition qui amène à des prix de publication de plus en plus élevés. La pression du Publish or Perish est alors accrue par la difficulté de publication, essentiellement financière.

Des mouvements émergent alors pour la gratuité de la publication scientifique ou système d’Open Access (Mais nous en parlerons plus en détail dans notre prochain article). De cette logique naîtra notamment Wikipedia en 2000.

En somme, l’ère de la publication scientifique numérique a certes accru le potentiel de transmission des données scientifiques à travers le monde, mais elle a aussi engendré des crispations dans la façon de publier.

Le monde de la publication scientifique est désormais partagé entre les intérêts commerciaux des grands éditeurs qui augmentent sans cesse les prix de la publication et les intérêts scientifiques de diffusion des connaissances et de qualité des données bien souvent entravés par des délais de publications trop longs et les dysfonctionnements dans le processus de publication.

Les dérives modernes de la course à la publication 

Avec l’augmentation vertigineuse du nombre de publication et celle du nombre de chercheureuse, il est très vite apparu dans le système de publication l’idée (discutable) que l’on pouvait exprimer la qualité des recherches d’un.e chercheureuse par son nombre de publication ainsi que la qualité (aussi évaluée par nombre de publications) de la revue dans laquelle iel publie. Ce concept apporte alors une pression incessante qui pousse tout scientifique à publier régulièrement (Publish or Perish).

Face à une telle pression, de nombreuses dérives ont vu le jour et façonnent désormais en partie le format de publications actuelles. Les formats sont par exemple de plus en plus courts. La taille des publications en nombre de pages a fortement diminué ces dernières années. Des papiers plus courts permettent effectivement de publier plus vite et plus souvent.

Les études de validation en voie de disparition

Un aspect de certaines études scientifiques a également disparu. De moins en moins d’études cherchent à recréer, répéter ou re-tester des expériences dont les résultats ont déjà été publié. Les études de validation n’ont plus le vent en poupe. Une certaine « course à l’originalité » s’est imposée et force à toujours publier de nouveaux résultats, de nouvelles études et sur de nouveaux sujets, dont la valeur est plus forte aux yeux des éditeurs. Pourtant, l’une des forces de la science moderne est cet aspect de validation par la communauté entière. Publier des résultats similaires à une étude antérieure est tout aussi scientifiquement crucial que de publier de nouvelles données. 

Plus encore, cette course effrénée du Publish or Perish peut amener à certaines méconduites voire franchir la frontière de la fraude. Publier à tout prix peut pousser à segmenter une publication en plusieurs petites pour augmenter artificiellement le nombre de papier ; c’est le saucissonnage. Des données contradictoires peuvent être oubliées voire volontairement omises ; c’est la falsification.

Bien d’autres négligences ou erreurs peuvent arriver, majoritairement de manière non intentionnelle, mais elles font partie intégrante de la publication actuelle. Le nombre de publications retirées pour cause de mauvaises données, fraudes ou erreurs a presque été multiplié par 10 durant la dernière décennie [20].

Conclusion

Cet article est une introduction à un prochain article qui sera disponible courant juillet. Ce dernier portera sur les limites du système de publication actuelle. Mais pour vous permettre de comprendre tous les tenants et aboutissants de cette histoire, il était nécessaire de dresser un état des lieux et de faire un historique du fonctionnement de la publication scientifique. On espère vous avoir donnez envie d’en savoir plus sur la production de connaissance. Rendez-vous courant le mois prochain pour découvrir le côté obscur de la force !


Temps de travail cumulé : 45h
Auteurices : Léa Bariod, Vincent Lhuillier & Salomé Bourg
Illustration : Salomé Bourg

Bibliographie :

  1. Recherche scientifique. (s.d.). Dans Dictionnaire Larousse en ligne. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/recherche/67011
  2. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/ou-se-fait-la-recherche-46533
  3. L’état de l’emploi scientifique en Franc - Rapport 2013. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, Direction générale pour la recherche et l’innovation.
  4. https://www.getinlabs.fr/blog/recherche-appliquee-vs-recherche-fondamentale-les-differentes-facettes-de-la-recherche
  5. Barré, K (2017). Mesurer et compenser l’impact de l’éolien sur la biodiversité en milieu agricole. Diss. Paris, Muséum national d'histoire naturelle.
  6. Bimbot, R & Martelly, I (2009). La recherche fondamentale, source de tout progrès. La revue pour l’histoire du CNRS, (24).
  7. Zidat, T (2019). Communication chimique chez un mammifère social et monogame : rôle dans la sélection sexuelle et les relations entre groupes?. Diss. Université de Lyon.
  8. Bourg, N & Molcard, A (2021). "Northern boundary current variability and mesoscale dynamics: a long-term HF RADAR monitoring in the North-Western Mediterranean Sea." Ocean Dynamics 71.8: 851-870.
  9. https://www.invivomagazine.com/fr/mens_sana/chronique/article/215/vis-ma-dure-vie-de-chercheur
  10. Katz, M J (2009). From Research to Manuscript: A guide to scientific writing, 2nd ed. Springer: Berlin, Germany.
  11. Gemayel, R (2016). How to write a scientific paper. The FEBS Journal, 283(21), 3882-3885.
  12. Lindsay, D & Poindron, P (2011). Guide de rédaction scientifique. Ed. Quae: France.
  13. Hites, R A (2014). How to give a scientific talk, present a poster, and write a research paper or proposal. Environmental Science & Technology, 48(17), 9960-9964.
  14.  https://www.nature.com/nature/for-authors/editorial-criteria-and-processes
  15.  https://www.nature.com/articles/nmeth.3520
  16. Christian Bange . 2009. Claude Bernard, la méthode expérimentale, et la Société de Biologie
  17. David A. Kronick. 2014. A Historical Catalogue of Scientific Periodicals, 1665-1900, with a Survey of Their Development by Robert Mortimer Gascoigne 
  18. Fire, M., & Guestrin, C. (2019). Over-optimization of academic publishing metrics: observing Goodhart’s Law in action. GigaScience8(6), giz053.
  19. Jean-Yves Mérindol, Novembre 2019. L’AVENIR DE L’ÉDITION SCIENTIFIQUE EN FRANCE et la science ouverte. COMMENT FAVORISER LE DIALOGUE ? COMMENT ORGANISER LA CONSULTATION ? Rapport remis à Frédérique VIDAL, Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
  20. Jeffrey Brainard, Jia You, 2018, What a massive database of retracted papers reveals about science publishing's ‘death penalty'
  21. https://gallica.bnf.fr/html/und/sciences/xixe-siecle?mode=desktop

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